CINEMA

CINEMA

Publié le 12/09/2017 dans ACTUALITES

 

Barbara
Ceci n'est pas un aigle noir

Le cinéaste Yves Zand s'est lancé dans la réalisation d'une biographie de la chanteuse Barbara. Il est dans un état de confusion permanent entre son admiration pour l'artiste mythique et son lien avec Brigitte, la comédienne qui peine à se glisser dans sa peau malgré l'intensité de son travail. Mathieu Amalric se refuse au biopic traditionnel avec reconstitutions d'étapes importantes d'une vie et d'une carrière et vise quelque chose de plus radical. Jeanne Balibar est impressionnante dans sa fusion progressive avec son modèle, avec un minimum d'artifices à peine décelables. Loin de se resembler, elles finissent par se confondre en un seul être, grâce à des images d'archives émouvantes unies à celles d'aujourd'hui. Les divers jeux de miroirs et autres mises en abyme créent une magie qui a permis à cet objet unique de remporter le Prix Jean Vigo, attribué chaque année à «un réalisateur français pour son indépendance d'esprit et son originalité de style» et le Prix de la poésie dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Deux récompenses judicieuses pour ce «non portrait» de l'interprète de L'Aigle noir, opaque et déstabilisant et aussi imprévisible que l'était Barbara.

 

Mon garçon
Un père recherche son fils

Baptiste, sept ans, disparaît alors qu'il était en classe de neige. Son père Julien n'a jamais été très présent pour lui, son mariage ayant explosé à cause de ses nombreux déplacements à l'étranger pour le travail. Rongé par la culpabilité, il mène son enquête, persuadé de l'inefficacité de la police. L'histoire glauque éloigne Christian Carion de ses précédentes réalisations dont le champêtre «Une hirondelle fait le printemps» ou le film d'époque «Joyeux Noël». Il entraîne Guillaume Canet dans un projet artistique audacieux, lui remettant au fur et à mesure du tournage les détails du scénario pour qu'il découvre tout en même temps que son personnage. Le procédé lui permet d'accentuer la perte de contrôle d'un homme impétueux et paranoïaque en acceptant des improvisations dans les interactions entre les protagonistes. Il fait vivre sa part sombre avec une réelle intensité et une violence intérieure inquiétante, même pour son ex-femme jouée avec douleur par Mélanie Laurent. Mère d'un enfant du même âge, elle n'était d'ailleurs guère à l'aise avec la noirceur du sujet. L'ambiance est prenante, avec une maîtrise forte du suspense et le refus de se laisser aller à une apologie de l’autodéfense.


Otez-moi D'un Doute
Les deux papas d'un démineur

Erwan, démineur en Bretagne, apprend que l'homme qui l'a élevé n’est pas son père biologique. Il retrouve très vite Joseph, un ancien militant gauchiste. Ils se prennent d'affection l'un pour l'autre, mais Erwan n'arrive à lui dire la vérité. Erwan rencontre en même temps Anna et l'attirance est réciproque. Il réalise soudain qu’elle est la fille de Joseph, ce qui ne facilite pas leur romance. François Damiens est ce Breton bourru qui contrôle parfaitement le cours de sa vie, jusqu'à cette révélation explosive sur ses origines. Cécile de France en femme médecin au caractère bien trempé lui tient tête par des répliques acérées, tout en tombant sous le charme, inconsciente de son questionnement sur leur identité génétique commune. Les deux papas aux parcours différents sont interprétés par Guy Marchand et André Wilms, tous deux faisant preuve d'une jolie sensibilité. La réalisatrice Carine Tardieu amuse et émeut avec cette comédie romantique sur la notion de parentalité. Les quiproquos ne sont pas étirés au-delà du raisonnable, le scénario ne cessant d'évoluer pour faire vivre les personnages principaux et ceux qui les entourent. Un joli film pour débuter cette rentrée.

Barry Seal : American Traffic
Tom Cruise

Commandant de bord pour la TWA, Barry Seal se fait pincer avec des colis frauduleux. En échange de sa liberté, il va utiliser son expérience de pilote hors pair pour prendre des photos des zones d'entraînement de guerilleros en Amérique latine. Il attire l'attention de trafiquants de drogue qui vont le recruter pour transporter leur marchandise. Débute alors un double jeu entre la CIA dont il est un informateur clé et ce qui deviendra le Cartel de Medellin. Cet aventurier hâbleur permet à Tom Cruise de s'éloigner une nouvelle fois de son statut de héros trop parfait grâce à Doug Liman qui l'avait déjà dirigé dans «Edge of Tomorrow» où il se montrait plus vulnérable qu'à son habitude. Il incarne avec bagou ce trafiquant opportuniste qui a réellement existé. Grisé par la fortune facile et trop certain de son impunité, il pensait pouvoir déjouer tous les dangers mais la réalité fut plus douloureuse. Le ton badin semble excuser ses exactions mais ses zones d'ombre ne font guère illusion dans cette charge contre les dérives interventionnistes du gouvernement Reagan dont la collusion avec des criminels au nom de la lutte contre les communistes est savoureusement moquée.

Le Redoutable
J
ean-Luc Godard coule son couple

L'échec en salles de «La Chinoise» avec sa compagne dans le premier rôle pousse Jean-Luc Godard à se remettre en question, au détriment de son couple. C'est en découvrant l'autobiographie d'Anne Wiazemsky, «Un an après», que Michel Hazanavicius a eu l'idée d'aborder la vie de ce maître de la Nouvelle Vague sous l'angle de la comédie. Godard devient un personnage à la dimension hilarante irrésistible, sans être ridiculisé pour autant, dépeint avec causticité à travers ses errements publics et privés. Son envie d'innover se retrouve dans les citations visuelles du réalisateur de «The Artist» qui joue avec la mémoire du «vrai» Godard dans l'inconscient collectif. Louis Garrel a effectué un travail d'assimilation impressionnant pour jouer cet artiste charmeur par moments, égocentrique à d'autres. Le point de vue d'Anne Wiazemsky, témoin de sa révolution intime, est capté par le jeu feutré de Stacy Martin qui fait passer un désarroi croissant par un sourire qui s'éteint petit à petit et son regard qui s'assombrit. L'intimité du couple est d'abord ludique puis plus tragique lorsque l'amour s'en va. Une comédie mordante qui invite le spectateur à devenir un complice consentant.

Good Time
Une nuit sans fin

Connie Nikas entraîne son frère handicapé dans un braquage qui tourne mal. Nick est arrêté et Connie doit réunir dix mille dollars pour sa caution. Il va vivre une très longue nuit pour le sortir de prison. Robert Pattinson, quasiment méconnaissable, s'est impliqué corps et âme pour faire vivre ce marginal, incapable de s'occuper de son frère fragile malgré la sincérité de son attachement. Sa métamorphose souligne la décomposition physique et mentale de ce chien fou alors qu'il sème le malheur sans le vouloir et entraîne d'autres personnes dans sa course dévastatrice. L'intensité du regard de l'acteur permet de véhiculer un désarroi profond face à l'accumulation de mésaventures cauchemardesques. Lorsqu'il parle, il est à la limite de la logorrhée incompréhensible, gêné par le poids d'un passé indicible. Les frères Joshua et Ben Safdie (le deuxième joue le cadet) proposent un cinéma fou à l'énergie ininterrompue. La puissance évocatrice de la bande originale électro de Oneohtrix Point Never, prix de la meilleure musique lors du dernier Festival de Cannes, accompagne l'agitation de la mise en scène qui joue avec la ville comme un personnage diabolique qui enserre ses proies dans ses filets.

 

 

 

Pascal LE DUFF