CINEMA

CINEMA

Publié le 09/10/2017 dans ACTUALITES

 

Blade Runner 2049
Quand les réplicants répliquent

2049, dans un Los Angeles brumeux et froid, presque mort. L'agent KD6 – 3.7 est un «blade runner» dont la mission est d'éliminer les «réplicants», androïdes d'apparence humaine, lorsqu'ils sont jugés obsolètes ou se rebellent contre leurs oppresseurs. 35 ans après, Denis Villeneuve signe une suite aussi crainte qu'attendue au classique de la science-fiction de Ridley Scott. Le résultat se révèle dans l'ensemble décevant malgré des thèmes forts : le sens du sacrifice, la capacité à résister en toutes occasions, comment aimer lorsqu'on est une machine programmée pour obéir, comment trouver sa part d'humanité dans un monde qui vous dénie le droit d'exister… Le rythme lancinant est un peu trop complaisant pour empêcher l'ennui de dominer malgré d'indéniables fulgurances esthétiques et une réelle audace dans sa narration d'une grande liberté. Il manque plus de poésie et d'humanité pour en faire une grande œuvre de cinéma. Ryan Gosling est un anti-héros à l'intériorité prégnante qui suit les traces du mythique Rick Deckard, toujours incarné par Harrison Ford qui retrouve à nouveau un personnage emblématique, comme pour dire adieu aux grandes figures de sa carrière. 

 

 

 

Confident royal
Mon curry chez les royalistes

En 1887, Abdul, un modeste employé de 24 ans, quitte l'Inde pour participer au cinquantième anniversaire de l'accession au trône de la Reine Victoria. Elle le remarque lors d'un dîner ennuyeux et insiste pour qu'il reste auprès d'elle. Leur complicité platonique durant les quatorze dernières années de sa vie met le palais en émoi. Célèbre grâce à son rôle de patronne de James Bond dans «Goldeneye», Judi Dench s'est imposée auprès de ses pairs grâce à «La Dame de Windsor», sa première incarnation de la monarque, à la période où elle tomba sous le charme de son palefrenier. Vingt ans plus tard, elle la retrouve à un stade avancé de sa vie. Quelques regards désobligeants suffisent à la comédienne pour marquer le tempérament impétueux de cette femme de poigne. Stephen Frears signe une critique savoureuse des intrigues de cour et des relations de subordination, adoucie par une forte dose de miel mais heureusement relevée par une (toute) petite dose de fiel. Du parterre de parvenus hautains qui rivalisent de médiocrité, on retient la prestation d'Olivia Williams en Lady perfide, instigatrice d'un complot au sein de la maison Windsor pour se débarrasser de ce rival encombrant.

 

 

 

Happy end
Festen de famille

Eve, 13 ans, rejoint son père et sa nouvelle épouse à Calais après la mort suspecte de sa mère. Sa tante doit reprendre l'entreprise familiale, alors que le grand-père et ancien patron n'aspire qu'à quitter ce monde. On ne rit pas ouvertement avec cette œuvre sur des notables condamnée à disparaître à brève échéance mais cette attaque en règle de la bourgeoisie est étonnamment drôle pour un film de Michael Haneke. Symbole du glissement macabre de cette famille industrielle vers sa déchéance, les tentatives inabouties du patriarche de mettre fin à ses jours. Jean-Louis Trintignant, bientôt 87 ans, qui l'incarne avec malice, est sorti de sa retraite pour travailler avec celui qui lui avait offert un de ses plus beaux rôles avec «Amour», son dernier jusqu'à ce retour. Sa fille est incarnée avec une certaine perfidie par Isabelle Huppert et son fils par Mathieu Kassovitz qui incarne parfaitement une hypocrisie discrètement savoureuse. Moins radical que sur d'autres œuvres, Haneke creuse son sillon de satiriste mordant de la société occidentale avec cette dérision inattendue qui se retrouve dans la scène finale qui donne tout le poids de son ironie au titre au cynisme macabre.

 

 

 

L'Atelier
Apprendre à écrire et à vivre

La Ciotat, au coeur de l'été. Olivia, écrivaine reconnue, dirige un atelier d’écriture avec des jeunes en insertion. Le temps de quelques semaines, ils vont travailler ensemble à l'écriture d'un roman noir. Olivia s'inquiète de l'attitude d'Antoine qui crée un malaise certain chez ses camarades par ses propositions littéraires et ses piques acérées. Matthieu Lucci fait des débuts impressionnants en marginal perdu dans une société dont il se sent exclu. Il lui donne une humanité guère aisée à dénicher au-delà de ses provocations violentes et racistes. Plus motivé par l'ennui que par la haine de l'autre, ce garçon replié mais manifestement intelligent pousse cette artiste qui espérait sincèrement pouvoir partager positivement son expérience à se remettre en question. Marina Foïs mêle assurance et fragilité dans la peau de cette femme moins solide qu'elle ne le croyait. Ce nouveau film de Laurent Cantet qui commençait comme une version plein air de sa Palme d'or «Entre les murs» bifurque vers le récit d'une relation trouble entre l'enseignante et son «élève préféré» qui lutte difficilement contre la tentation du pire. Un film noir et politique autour d'une jeunesse en colère.

 

 

 

Espèces menacées
Violences ordinaires

Dès sa nuit de noces, Joséphine comprend que son mariage avec Tomasz sera placé sous le sceau de la peur lorsqu'un jeu amoureux vire à une crise de jalousie. Un an plus tard, ses parents sont inquiets car elle ne donne plus de nouvelles. Vincent apprend que sa fille est enceinte d'un homme beaucoup plus âgé… que lui. Anthony, étudiant malheureux en amour doit gérer les dérapages de sa mère. Dans une tension constante, ces personnages se croisent et s'affrontent sans forcément obtenir les résultats espérés. Alice Isaaz incarne avec justesse la douleur d'une femme battue incapable de fuir son bourreau malgré les mains tendues. Inquiétant, Vincent Rottiers parvient à faire comprendre pourquoi elle n'arrive pas à réagir. Éric Elmosnino se distingue en père gérant mal la grossesse inattendue de sa fille, drôle lors d'une grande scène de révélation de secrets et sensible lorsqu'il parvient à écouter des inconnus. L'impuissance des parents à agir de la bonne manière avec leurs enfants qui deviennent des adultes est traitée avec tact mais quelques digressions inutiles, surtout celles impliquant l'étudiant maladroit et sa mère en perte de repères, alourdissent ce récit choral.

 

 

 

Un Beau Soleil Intérieur
La ronde éternelle de la quête d'amour

Isabelle multiplie les rencontres après son divorce. Loin de trouver l'homme parfait, elle s'enlise dans des relations peu satisfaisantes pour elle comme pour eux, pas un ne rattrapant l'autre dans cette ronde éperdue. Leur portrait pourrait n'être qu'à charge mais l'écriture est heureusement plus équilibrée. Claire Denis délaisse ses drames désespérés pour sa première comédie pour dépeindre l'universalité de l'échec amoureux. Plus étonnant encore est de voir la signature de Christine Angot sur ces dialogues d'une drôlerie absolue, loin de ses sombres autofictions. Le rire éclatant de Juliette Binoche accompagne des dialogues spirituels souvent hilarants. Elle incarne une femme solaire au caractère bien trempé qui ne se laisse pas abattre malgré quelques signes de découragement. La valse de prétendants inclut Xavier Beauvois en banquier goujat, Nicolas Duvauchelle en comédien incapable de gérer son attirance et Philippe Katerine en dragueur de poissonnerie. Le sommet de ce parcours amoureux est l'épilogue dantesque où Gérard Depardieu, magistral, nous invite à «rester open» et à prendre la quête d'amour à la légère, sans prétendre que c'est facile.

 

 

 

Pascal Le Duff