CINEMA

CINEMA

Publié le 13/11/2017 dans ACTUALITES

 

Passe ton bègue d'abord

Lila, bègue, communique avec les autres écrivant dans un carnet qu'elle ne quitte jamais. Elle rencontre Mo, plus âgé qu'elle, qui participe à des courses clandestines. C'est le coup de foudre. Conscient du mal dont elle souffre, il la pousse à oser parler. Mais lui aussi a un secret : il ne sait pas lire. Sara Forestier passe derrière la caméra en évoquant un souvenir personnel. Elle maîtrise finement l'embarras de Lili et nous fait ressentir cette passion qui lui permet d'acquérir une liberté réelle. Il est hélas compliqué d'y croire vraiment car elle est trop âgée pour une élève de Terminale passant son bac. Redouanne Harjane, révélé par le Comedy Club de Jamel Debbouze, se sort honorablement de sa première grande performance, notamment dans sa façon de cacher qu'il ne sait pas lire, notamment lors d'un rendez-vous dans un restaurant, entre rire et émotion. Le mythique Jean-Pierre Léaud incarne un père terrifiant dans son apathie après un grand deuil. Porté par une forme de naïveté adolescente, le film possède un réel charme, avec de belles réflexions sur la honte sociale que peut faire naître la difficulté à communiquer, mais ne trouve pas complètement sa voix, pardon, sa voie.

 

 

 

A beautiful day
La bonne brute et l'enfant

Joe, ex Marine et ex agent de la CIA, est désormais exécuteur de basses besognes pour un commanditaire peu recommandable. Lorsque la fille d'un sénateur est enlevée, c'est à lui qu'on fait appel. Les riffs de guitares dissonants de Jonny Greenwood soulignent l'intensité de la performance puissante de Joaquin Phoenix. Caché derrière sa barbe épaisse, il est un ange exterminateur meurtri par un passé violent qu'il peine à surmonter. Le lien entre cet ours massif, dont l'humanité est encore un peu préservée, et l'adolescente abusée se retrouvent dans leurs enfances heurtées. Celle de Joe se dévoile dans des souvenirs qui remontent violemment en lui et expliquent en quelques plans sa psychologie heurtée. Cette variante moderne de «Taxi Driver» a été doublement primée au Festival de Cannes, avec un Prix d'interprétation pour lui, Lynne Ramsay recevant un trophée pour le scénario tiré d'un roman de Jonathan Ames. Un prix de la mise en scène eût été plus juste, l'originalité des situations étant moins marquante que sa réalisation immersive qui nous fait partager une quête désespérée. Ses images brutes donnent une vivacité sans faille à cette œuvre sensorielle sans concessions.

 

 

 

Borg vs Mac Enroe
Les frères ennemis du tennis

En 1980, la rivalité est intense entre deux joueurs de tennis restés mythiques jusqu'à aujourd'hui. Björn Borg, numéro un mondial, essaie d'établir un record avec une cinquième victoire à Wimbledon. John Mc Enroe espère prendre sa place en remportant le tournoi pour la première fois. Dans cette biographie dont les principaux concernés ont contesté la véracité, le danois Janus Metz vise à démontrer que leurs tempéraments ne sont pas si opposés. Sous la glace du suédois couve le même volcan que chez l'américain, mais lui a appris à se contenir alors que l'autre a marqué les esprits avec ses colères épiques adressées au public et aux arbitres, entre autres cibles. Sverrir Gudnason ressemble comme un jumeau à Borg, Shia LaBeouf est comme un double de Mc Enroe plus par son caractère ombrageux dans la vie que par ses traits. En prenant le temps de montrer sur la longueur le duel historique en cinq sets et plus d'une demi-douzaine de balles de matchs, le réalisateur nous en fait ressentir les enjeux humains autant que la dimension sportive. Un document éclairant, malgré les libertés apparemment prises, sur cette rivalité inoubliable pour ceux qui ont vécu cette période.

 

 

 

Jalouse
S
a fille est plus jolie qu'elle…

La fille de Nathalie, professeure de lettres divorcée, fête ses 18 ans. Son ex-mari et sa nouvelle compagne affichent leur bonheur pour la soirée d'anniversaire. Sa meilleure amie la soutient dans ce difficile passage, on lui présente un soupirant parfait et une jeune enseignante arrive dans son lycée. Mais rien ne parvient à atténuer sa jalousie de tous les instants et son comportement devient erratique. Les frères David et Stéphane Foenkinos («La Délicatesse») mettent en scène Karin Viard dans le rôle guère flatteur mais complexe d'une femme de plus en plus agressive avec son entourage privé comme professionnel. Sa fille, qui prépare un concours de danse classique, est la première (mais pas la dernière) à en faire les frais. Cette chronique au ton léger mais aux connotations dramatiques sur la dépression inexorable d'une quadragénaire confrontée à son âge accumule à l'excès les situations hostiles mais touche souvent juste. Les seconds rôles bien choisis (Anne Dorval, Anaïs Demoustier ou l'amusante Marie-Julie Baup) atténuent le côté caricatural de certains personnages comme l'amie trompée, la rivale au travail ou sa remplaçante auprès de son ancien compagnon.

 

 

 

Carbone
Arnaque à la TVA

Patron d'une entreprise de transports héritée de son père, Antoine Roca doit déposer le bilan à cause d'un arriéré de TVA. Son comptable et ami Laurent lui fait remarquer que s'il revend son excédent de taxe carbone, il pourra recouvrer une partie de ses dettes. Aidé de deux copains de poker et de leur mère (jouée par la chanteuse Dani, prodigieuse), il se lance dans une aventure supposée sans armes, ni haine, ni violence mais qui vire au grand banditisme. Olivier Marchal s'approprie très librement un fait divers réel (près de dix milliards d'euros furent détournés sur toute l'Europe en 2007) avec son complice de «Truands», Benoît Magimel, cerveau de cette fraude monumentale. Le tempérament dramatique de Michaël Youn explose ici, non pas à renfort d'effets mais par le minimalisme de son jeu. Diplômé en économie, il facilite la compréhension de la carambouille par sa maîtrise du jargon financier. Révélé dans «Comment c'est loin» de son complice rappeur Orelsan, Gringe est lui aussi une révélation en frère aîné dépassé par l'ivresse de l'argent facile. S'il ne possède pas la force du modèle assumé «A Most violent year», ce film noir aux accents de tragédie familiale est solidement réalisé.

 

 

 

Mise à mort du cerf sacré
Le sacrifice impossible

Steven Murphy, chirurgien de renom, est marié à Anna, ophtalmologue. Ils ont deux enfants Kim, 14 ans et Bob, 12 ans. Steven entretient une relation ambiguë avec Martin, jeune homme dont le père est décédé lors d'une opération qu'il dirigeait. Lorsque Steven lui demande de se faire plus rare, Martin le contraint à faire un sacrifice impossible. Le grec Yórgos Lánthimos a reçu le Prix du scénario au Festival de Cannes pour son deuxième film en anglais après «The Lobster» avec déjà Colin Farrell. Le couple qu'il forme avec Nicole Kidman est d'une froideur extrême, le qualificatif d'entomologiste appliqué au cinéaste, portraitiste aiguisé de familles dysfonctionnelles, n'étant pas usurpé. La performance du jeune Barry Keoghan, aperçu dans «Dunkerque» en mousse courageux mais malchanceux, est glaçante. Psychopathe amateur en quête de justice très personnelle ou démon expert en torture psychologique, il est dévoué à ne laisser aucune échappatoire à ses victimes. La mise en scène élégante crée un climat hypnotique qui tient en haleine jusqu'à sa terrible conclusion. À cause de sa distance trop calculée, on se sent néanmoins plus extérieur qu'impliqué viscéralement.

 

 

 

Pascal Le Duff