CINEMA

CINEMA

Publié le 08/01/2018 dans ACTUALITES

 

L’Échange des princesses
De la viande à marier

 

1721. Le Régent Philippe d’Orléans suggère un mariage entre Louis XV, 11 ans, et l’Infante Anna Maria Victoria, quatre ans à peine. Il a également l'idée de marier sa fille Louise-Élisabeth, demoiselle de Montpensier, douze ans, à Don Luis, héritier du trône d'Espagne. Cet échange de princesses permettrait une accalmie bienvenue après des années de guerre qui ont laissé les royaumes exsangues. Leur entrée précipitée dans la cour des Grands ne se fera pas sans heurts. L'auteur de «La Chambre des officiers» transpose avec succès le roman éponyme de Chantal Thomas. Cet arrangement matrimonial et politique est sinistre, les filles étant réduites à de simples objets de transaction. Marc Dugain réussit un film presque sale, dans des décors ne sentant pas la naphtaline. La liberté des mœurs est évoquée frontalement, tout comme la dénonciation des femmes traitées comme des objets reproducteurs est assez exemplaire. Lambert Wilson et Olivier Gourmet sont parfaits en hommes d'état, fatigué pour le premier, machiavélique pour le second. Un exercice de vulgarisation riche en saillies humoristiques qui lève le voile sur une annexe secrète de l'Histoire de France.

 

 

 

Le Grand jeu
Poker menteuse

 

Contrainte d'abandonner sa carrière de skieuse olympique après une vilaine chute, Molly Bloom se reconvertit dans l'organisation de jeux de poker clandestins. D'abord assistante d'un patron capable de réunir de grandes stars, elle crée rapidement son propre empire, avant de tomber de son piédestal lorsque le FBI et la mafia russe s'intéressent à ses activités à la limite de la légalité. Maître des longs monologues, des joutes verbales et des personnages s'exprimant avec une clarté que le monde leur envie, dans la série «À la Maison Blanche» ou les films «The Social Network» ou «Steve Jobs», le scénariste Aaron Sorkin passe à la réalisation. Ses héros ne sont jamais franchement sympathiques, souvent portés par une haute opinion de leur destin, que cela soit justifié ou non. Jessica Chastain s'exprime, surtout en voix-off, avec faconde pour séduire ses interlocuteurs mais aussi se convaincre elle-même du bien fondé de ses actes. L'écriture et son interprétation nous donnent l'impression de tout comprendre du jeu mais ce n'est qu'illusion. Les mots savamment agencés servent surtout à noyer sa détresse de petite fille qui rêve de plaire à son père, mentor exigeant joué avec dureté par Kevin Costner.

 

 

 

Seule sur la plage la nuit
Une actrice amoureuse

 

Young-hee, une actrice célèbre, a tout quitté pour vivre une histoire d'amour avec un réalisateur marié. Entre la Corée et l'Allemagne, elle repense à cette liaison désormais achevée et s'interroge sur son avenir avec ou sans lui. Seule sur la plage ou accompagnée d'amis pour consommer des bières sans modération, elle tente de panser ses blessures. L'amour selon Hong Sang-soo reste source de moments savoureux d'ironie et d'épanchements de déceptions favorisés par l'ivresse. Sa muse et compagne Kim Min-Hee, bientôt partenaire d'Isabelle Huppert dans «La Caméra de Claire», a obtenu le prix d'interprétation à Berlin pour ce rôle troublant auquel elle apporte une gamme de sentiments variés. Tantôt enjouée, tantôt mélancolique ou plus dure, elle rajoute une sensibilité accrue aux émotions imaginées par un cinéaste considéré comme un émule d'Eric Rohmer. Il ne cesse de nous surprendre alors qu'il semble raconter à chaque fois la même histoire avec de légères variations. Ses récits sont plus complexes que ce qu'ils laissent paraître, le mystère restant ici entier après une conclusion troublante qui interroge la mémoire d'une héroïne dont les secrets ne sont pas aisément livrés.

 

 

 

La Surface de réparation
Dans l'ombre d'un club de football

 

Depuis une dizaine d'années, Franck agit officieusement dans l'ombre du FC Nantes. Il protège les joueurs de leurs frasques et des parasites qui tentent de profiter d'eux. Sans statut officiel ni rémunération, il vivote en revendant des places VIP. Sa rencontre avec Salomé, jeune femme qui gravite autour des footballeurs, et ses retrouvailles avec Djibril, champion en fin de carrière, le poussent à se remettre en question. Pour son premier film, Christophe Regin se penche sur ceux qui ont vu se briser leur rêve de gloire dans le sport. Il esquisse le portrait vibrant d'un homme incapable de surmonter ce deuil et de s'éloigner de l'effervescence des stades. Malgré sa forte personnalité, cet être éminemment bienveillant se laisse manipuler, autant par le responsable du club que par cette jeune femme dont il tombe sous le charme. Son chemin pour sortir de sa zone de confort est douloureux, comme le montre avec une belle gamme de nuances Franck Gastambide, entre fragilité et assurance. Alice Isaaz, elle aussi très juste, confirme cette présence qui lui permet de sublimer ses interprétations, aidé par le regard nuancé porté sur les actions de son personnage.

 

 

 

3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance
Une mère crie vengeance

 

Lassée de l'absence d'avancées dans l'enquête du meurtre de sa fille, Mildred Hayes loue trois énormes panneaux à l'entrée de la ville. Elle met en accusation, à la vue de tous, le chef de la police Bill Willoughby, atteint d'un cancer en phase terminale. Les habitants sont  choqués, surtout l'un des shérifs adjoints, Jason Dixon, capable d'inquiétantes explosions de violences. Frances McDormand («Fargo») joue une mère meurtrie si obnubilée par sa douleur qu'elle apparaît insensible à celles des autres. Jamais elle ne s'excuse de son attitude, traçant sa propre route. On retrouve l'humour iconoclaste de Martin McDonagh découvert avec «Bons baisers de Bruges», dans un cadre beaucoup plus dramatique et parfois dérangeant. Les seconds rôles, tous parfaits, à commencer par Woody Harrelson en policier condamné par la maladie et Sam Rockwell en teigne obsédé par ses préjugés, éclairent sa quête, non pas tant vers la résolution de ce qui l'obsède mais vers la possibilité d'une rédemption avant qu'il ne soit trop tard. Quelques lourdes ambiguïtés sur l'idée de se rendre justice soi-même planent sur un scénario trop calibré qui se rattrape sur le fil. 

 

 

 

Ferdinand
Un taureau pas comme les autres

 

À la Casa del Toro, les taureaux sont conditionnés pour affronter le grand matador El Premiero. Inconscients du funeste destin qui les attend, les taurillons attendent impatiemment leur tour, tous pressés d'imiter leurs pères sauf Ferdinand, qui préfère le parfum des fleurs aux clameurs de l'arène. Il s'enfuit et trouve refuge dans une ferme auprès de la petite Una, libre de se prélasser et de chasser les papillons. En grandissant, il devient trop costaud pour ne pas commettre quelques maladresses parfois inquiétantes pour les humains, ce qui ne sera pas sans conséquences.. Les créateurs de «L’Âge de Glace» adaptent un conte pour enfants pour une pique assez féroce sur la passion numéro uno des espagnols, la corrida. Un film d'animation sacrément animé avec quelques grands moments dont un exercice de funambule admirablement exécuté dans un magasin de porcelaine ou une poursuite dans Madrid. Le scénario ménage des instants de contemplation et des silences significatifs pour mettre en valeur certains gags parfois délirants et une réelle poésie. Gentil et tendre, Ferdinand n'est pourtant pas mièvre, capable de devenir féroce par accident ou pour défendre les opprimés.

 

 

 

Pascal LE DUFF