EUGENIE BONNEFOIS - FONDATRICE DE L'ECOLE FORAINE

EUGENIE BONNEFOIS - FONDATRICE DE L'ECOLE FORAINE

Publié le 13/12/2018 dans HISTOIRES FORAINES

 

EUGENIE BONNEFOIS,

 

FONDATRICE DE L’ECOLE FORAINE

 

 

 

A la rentrée scolaire, les  petits forains se retrouvent, pour certains internes à Barentin, à Douai ou ailleurs, alors que d’autres suivent leur scolarité de ville en ville, au fil de la tournée familiale.
Occasion de rappeler que l’éducation des enfants forains a son icône, Eugénie Bonnefois, qui créa dès la fin du dix-neuvième siècle l’Ecole Foraine dont la classe-roulotte se déplaçait de fête en fête. Certains lui ayant reproché d’avoir fondé une œuvre, « Notre Dame des Forains », pour évangéliser les forains, fut ouverte quelques années plus tard l’Ecole Foraine laïque. Querelle exacerbée au début du 20 ème siècle avec de la loi de séparation de l’Eglise et l’Etat, mais qu’importe, sommes-nous tentés d’ajouter, tant la démarche d’Eugénie Bonnefois a contribué à sensibiliser les « Voyageurs » sur la scolarité de leurs enfants et ce, dès le 19è siècle. Aussi,  nous vous proposons de découvrir qui était vraiment cette étonnante foraine que d’aucuns surnommaient alors  leur  « Bonne Fée » !

 

Eugénie Bonnefois est née à Dardilly, près de Lyon, en mai 1829. Son père, Jean-Baptiste était instituteur, et sa mère, de santé fragile, décéda quelques mois après sa naissance. Son père, qui perdit son poste et devint peintre en bâtiment pour faire vivre sa petite famille, rêvait d’une autre vie… Aussi, lorsqu’il découvrit un « Panorama » composé de pantins articulés ou non, il n’eut de cesse de  rejoindre la communauté du voyage. S’étant remarié, c’est avec sa nouvelle épouse, Marguerite, qu’il s’installa pour la première fois à la foire de Lyon avec « Le Temple de Jérusalem ». Son art du boniment fit le reste… Le « père » Bonnefois se révélant être un sacré bonimenteur. Pour preuve, les bourrées qui lui permirent d’acheter une roulotte à l’issue de sa première saison !

 

 

 

Le « tour de ville » à 10 ans

 

Pendant ce temps, la petite Nini (surnom d’Eugénie) fut confiée à sa grand-mère. Elle y resta jusqu’à 3 ans, âge auquel elle rejoignit son père et sa belle-mère, qui fut une mère pour elle.

 

Avec ses parents, elle parcourut la France, la Belgique, la Hollande et bien d’autres pays encore. Le père Bonnefois ne pensait plus un seul instant à son ancien métier –instituteur- pour apprendre à lire et à écrire à sa fille à qui Marguerite apprit alors les prières et l’évangile

 

En 1839, Eugénie, âgée de 10 ans débute dans le métier. Son père lui ayant appris à battre le tambour, elle faisait le tour de ville vêtue d’un costume de garde française pour annoncer les sujets représentés dans la baraque familiale. Baraque où elle jouait aussi les guides, explications à l’appui, auprès du public.
1839, c’est aussi l’année où naquit Melchior, son demi-frère, qui deviendra plus tard le.. « Poète des forains », et pour lequel Nini éprouve un amour quasi-maternel.

 

Les années passèrent et les tournées succèdent aux tournées… Le père Bonnefois créait chaque année de nouvelles scènes d’actualité, peaufinait son boniment, alors que toute la famille, Eugénie en tête, fabriquait des pantins que chacun animait ensuite dans la baraque familiale.

 

A 18 ans, elle sait à peine signer son nom

 

Comme beaucoup d’enfants de forains de l’époque  Eugénie grandit sans avoir été à l’école. A 18 ans, bien qu’élevée dans une famille profondément pieuse, elle n’avait pas fait sa première communion et ne savait même pas signer son nom. Tout juste savait-elle lire les caractères d’imprimerie dans les livres de piété de sa belle-mère. Un comble pour la fille d’un ancien instituteur devenu forain par passion !
Les  Bonnefois étaient en tournée en Belgique lorsqu’éclate, à Paris, la Révolution de 1848. La famille décida alors de prolonger son séjour Outre Quiévrain, où Marguerite demanda à un prêtre de compléter l’instruction religieuse d’Eugénie afin qu’elle puisse faire sa communion. Ce qu’elle fit le 25 décembre 1848.

 

Elle apprend à écrire seule
La paix revenue, la famille Bonnefois reprit la route et, c’est à cette époque qu’Eugénie qui continuait de faire le tour de ville, décida d’apprendre à écrire –seule- à l’aide d’un modèle d’alphabet, et de faire partager ce qu’elle apprenait aux enfants de banquistes qu’elle croisait sur les champs de foire.

 

En 1860, Marguerite décède. Eugénie qui ne s’entendait pas avec son père, partit en tournée avec le Panorama et le Musée de son frère Melchior désormais marié, alors que son père restait à Paris.
Nous sommes en 1870. Avec la guerre  Melchior dut ranger son Musée et s’engagea dans les Gardes Nationaux, alors que Nini montait  le Panorama boulevard Voltaire, à Paris. Le bruit du canon se rapprochant de la capitale, elle démonta la baraque et s’engagea comme secouriste bénévole auprès de l’Association des sœurs de France, pour porter secours aux blessés sur les remparts et dans les forts qui entouraient Paris. Elle se démena jour et nuit, soutenant le moral des troupes lors des grands froids en prenant sur son sommeil pour distribuer, de nuit, des boissons chaudes aux soldats harassés de fatigue.

 

 

 

Création d’un centre paroissial à Rouen…

 

La guerre de 1870 terminée, elle soigna son père malade, tout en tournant sur Orléans, Amiens, Le Mans, Rouen, et faisant le catéchisme aux enfants de forains sur les fêtes où elle se trouvait. En 1881 son père décéda sans lui laisser un sou, ayant placé de son vivant tous ses biens en viager.
Eugénie vécue alors au jour le jour, tournant dans le Nord, l’Est et le Centre de France, alors que son frère Melchior tournait dans le Midi.

 

En 1887, lors de la Saint Romain, à Rouen, elle rencontra l’évêque et réussit à le convaincre de monter un centre paroissial. Ce qui sera fait l’année suivante.

 

 

 

… et d’une école foraine à Paris

 

Quelques années plus tard, en 1892, Eugénie, consciente que cela n’était pas suffisant, lança l’idée d’une école foraine. Comme toujours, elle se démena comme elle put, s’adressa à Paul Lerolle, député du VII è arrondissement de Paris qui, enthousiaste, lui fournit quelques livres et un peu d’argent pour démarrer son projet…
Eugénie acheta des bancs et des tables, trouva une vieille roulotte et, c’est à Paris, en 1893, à la fête des Invalides, qu’elle prit possession d’une petite baraque de 4 mètres carrés montée à côté de son « Panorama » : des planches posées sur des tréteaux tenaient lieu de tables et les bancs accueillaient une vingtaine d’enfants.
Après les Invalides, Eugénie monta à la fête de Neuilly. La roulotte école suivit, mais dû être installée près du Pont de Courbevoie faute de place. Résultat : il lui fallut louer un char à bancs pour parcourir toute l’avenue depuis la Porte Maillot jusqu’au pont de Courbevoie afin d’aller chercher et ramener tous les petits forains. Sans compter les parents qui, peu habitués à voir leur progéniture quitter le métier pour aller à l’école, disaient à Eugénie qu’ils avaient besoin d’eux à telle ou telle heure de la journée !!

 

 

 

Son «Panorama » transformé en salle de classe

 

Mais c’est aussi à la fête de Neuilly que Nini remis les premiers certificats d’études aux petits forains « scolarisés ». L’histoire veut que le premier élève à avoir obtenu son « certif » s’appelait « Marseille », un nom synonyme de baraques de lutte dans l’histoire de la fête et des forains !

 

Elle s’investit tant dans cette école qu’il lui fallut trouver rapidement une baraque plus grande. Comme elle n’avait pas l’argent nécessaire, son choix fut vite fait : elle abandonna son Panorama pour transformer la baraque en salle de classe.
Non contente d’enseigner aux enfants, elle passait les prendre avec un char à banc et les ramenait le soir, leur faisait à manger le midi et organisait même des sorties récréatives ! Témoin, la sortie annuelle au parc de Saint Cloud avec jeux et goûter au programme.

 

Jusqu’au jour où on put lire dans les « Petites Affiches » : « A vendre, par liquidation judiciaire, un matériel d’école primaire démontable. Item : une voiture de caravane pour usage forain. Le tout ayant appartenu à Mlle Bonnefois, Directrice de l’Ecole Foraine ».

 

 

 

Honorée par l’Académie Française
Eh oui… Un procès intenté pour une vieille histoire de famille l’obligea à vendre tous ses biens. Ce qu’elle fit avant de se retirer, dans sa roulotte et dans le plus grand dénuement sur un terrain vague près de Montmartre. La presse de l’époque, émue par cette histoire commença à en parler dans ses colonnes. D’article en article, l’émotion fut telle qu’Eugénie reçut de nombreux messages d’encouragement mais aussi et surtout des dons qui lui permirent de remonter une école foraine.

 

En 1897, l’Académie Française attribua le prix Monthyon (d’un montant de 2 500 francs de l’époque) à l’institutrice des petits forains, et le Petit Journal qui en fit sa « Une » écrivait alors : « L’Académie Française vient de s’honorer grandement en décernant un prix Monthyon à une admirable femme de bien. Mademoiselle Eugénie Bonnefois, fondatrice de l’école foraine… Son école n’est pas une énorme bâtisse mais une simple baraque de la forme des autres, qui se déplace aisément de fête en fête… ».

 

L’année suivante, on lui remit les Palmes Académiques. L’occasion pour ses amis forains d’organiser une grande fête en l’honneur de celle qui avait d’autres idées en tête, qu’il s’agisse d’une école professionnelle, d’une maison de retraite pour forains…

 

Force est toutefois de constater que sa démarche, aussi noble fut-elle, ne fit pas l’unanimité. On peut même dire qu’elle rencontra une certaine opposition chez les anticléricaux qui s’élevaient contre l’enseignement religieux dispensés aux enfants. C’est ainsi, qu’au début du vingtième siècle, époque où l’anticléricalisme était au plus fort, fut créée (en 1905) une roulotte -école laïque qui, notons-le, chagrina  fortement Eugénie Bonnefois !

 

Elle n’en continua pas moins son œuvre, mais, à 79 ans, celle qui ne ménageait ni son temps, qu’il vente ou qu’il pleuve -  l’hiver 1907-1908 fut particulièrement rigoureux - fut victime d’une congestion pulmonaire, et entra chez les Sœurs de Picpus, où elle vécut les dernières années de sa vie.
Courbée en deux, le corps usé par des années de dévouement, elle rendait néanmoins visite à ses amis forains à Vaugirard, aux Invalides, à la Foire aux pains d ‘épices, jusqu’à ce qu’une paralysie des jambes l’oblige à limiter ses sorties, et ne les faire qu’en chaise roulante !

 

 

 

Les dernières années
L’hiver 1913, alors âgée de 84 ans Eugénie Bonnefois voulut –malgré la fatigue- honorer un mariage à Paris. A l’église Saint Germain des Prés. Las ! ce qu’elle qualifiait d’aimable promenade fut un trajet épuisant. A son retour elle s’alita et ne quitta plus guère son lit jusqu’au 16 juin 1914, jour de son décès, à l’âge de 85 ans après une vie entièrement dévouée aux autres…