LA MENAGERIE D'AUGUSTE LAURENT

LA MENAGERIE D'AUGUSTE LAURENT

Publié le 10/12/2020 dans HISTOIRES FORAINES

LA MENAGERIE D’AUGUSTE LAURENT

 

Parmi les grandes ménageries foraines du début du vingtième siècle, celle d’Auguste Laurent figure en bonne place. Personnage haut en couleur dont les tournées le menèrent sur les plus grandes fêtes de l’Hexagone, son passage dans une ville ou sa présence sur une foire était toujours un événement…

 

Auguste Laurent est, dit-on, celui à qui, en 1914, la Goulue vendit Ménélick, son dernier lion d’Abyssinie. Lequel lion, un an plus tard blessait mortellement le dompteur Giovanni qui, réformé par les autorités militaires, reprenait les tournées chez Auguste Laurent, alors installé à la foire aux plaisirs à Bordeaux. La ménagerie de ce dernier ayant accueilli de nombreux belluaires dont certains montèrent leur propre établissement. Il est vrai que notre homme avait du métier, puisque, avant de monter son propre établissement, il tourna dans toute la France associé à son frère Florian (prénom qu’il donnera à son fils).  Et cela, jusqu’en 1892, année où chacun des frères vola de ses propres ailes !

Si l’on en croit la presse de l’époque… En 1921, la ménagerie Laurent avait l’allure d’une vaste pagode indoue avec deux énormes éléphants blancs qui ornaient l’entrée et mettaient en valeur une superbe façade ornée de miroirs où se trouvait la caisse tenue par Madame Laurent en personne.

 

Un incroyable sens de la pub !

Il est vrai que notre homme avait le sens du spectacle. Connu pour ses entrées de cage insolites, ainsi que le rappelle Jacques Garnier dans « Forains d’hier et d’aujourd’hui », il n’hésitait pas  à y faire entrer un barbier rasant un belluaire pendant qu’un autre  (dans la même cage) travaillait avec les fauves, mais aussi une cantatrice, une chanteuse, voire même un boucher pour y dépouiller un mouton en présence des fauves. Il y fit aussi combattre des boxeurs, s’installer Kobelkoff « l’homme tronc » pendant un numéro de dressage… Bref, Auguste Laurent osait tout. Y compris faire éditer de petites brochures à sa gloire qu’il vendait sur les champs de foire. Brochures aux louanges emphatiques et commentaires dithyrambiques parmi lesquels il fallait faire la part des choses.  Notamment lorsqu’on y lit au hasard des poèmes insérés dans lesdites brochures :

« Il entre dans la cage haut d’allure et de verbe,

Avec tant d’assurance et tant de volonté

Qu’il semble que c’est lui le lion, le lion superbe.
Et le fauve en tremblant recule épouvanté. »

Parmi les bêtes les plus célèbres autour desquelles Auguste Laurent orchestrait sa publicité lors de son installation dans une ville, citons pêle-mêle : César, lion royal du Bengale mort à la fête de Neuilly en 1921 ; Nubie, lionne féroce qui blessa son propriétaire à la foire aux plaisirs à Bordeaux et dans bien d’autres villes ;  Romulus, lion de l’Atlas ; Greling, hyène mouchetée du Sénégal ; Mado, panthère de Java ; Jupiter, léopard de Perse, sans oublier… Dartagnan, présenté comme le terrible lion de l’Atlas. Ces deux derniers « pensionnaires » furent d’ailleurs les auteurs de plus d’une quarantaine de blessures dont fut victime le dompteur Lucas (2ème du nom) qui, en 1916, aurait été dévoré par les deux fauves sans l’intervention d’Auguste Laurent qui entra dans la cage armé d’une barre de fer qui fit aussitôt battre retraite aux deux bêtes.

Parmi les autres animaux de la ménagerie Laurent, on note au fil du temps, des ours du Tibet et des loups achetés à la ménagerie Siva.

Auguste Laurent avait habitué son fils Florian à travailler les bêtes dès son plus jeune âge, mais ce dernier ne put exercer réellement son métier qu’après la Grande Guerre durant laquelle il se distingua comme un émérite « pilote aviateur » de l’armée française.Le père Laurent forma aussi son neveu Gorgiano qui entra dans la cage à l’âge de 13 ans avant de devenir un des meilleurs dresseurs de l’entre-deux guerres.

La ménagerie Laurent accueillit aussi Fernando qui proposait un remarquable numéro avec la lionne Saïda, ainsi que le dompteur Alexandre, sans oublier Andrewitch qui s’y produisait sous le nom de Marius, mais aussi Georges et ses lions d’Abyssinie, ou  Miss Walter’s dans un numéro de danses du feu parmi les fauves. A une certaine époque, il achevait même ses représentations par une projection cinématographique. Et chez Auguste Laurent où le superlatif était monnaie courante, on parlait alors de « Cinématographe Géant » !

 

Les qualités du dompteur

Lorsqu’on l’interrogeait sur les qualités du dompteur, Auguste Laurent répondait  invariablement  « C’est long et difficile. Il faut une vigilance de toutes les minutes. Le triomphe de l’intelligence sur la force brutale… Voilà en quoi consiste l’art du dompteur. Dompter une bête, c’est arriver à la persuader que l’on est plus fort qu’elle et qu’elle est impuissante à vous nuire ».

Et, lorsqu’on lui demandait comment on parvient à se rendre maître d’une bête furieuse, il répondait, fruit de l’expérience : «  A l’aide d’une simple chaise de bois dont je me sers en guise de bouclier et contre laquelle les fauves non dressés épuisent leur rage ». D’ailleurs, dans l’histoire des ménageries foraines, il fit école puisque nombre de belluaires l’imitèrent en utilisant, à leur tour, une  chaise protectrice face à des bêtes furieuses.Sa popularité était immense, et c’est dans son établissement, installé à la fête de Neuilly, qu’Henry Thétard, alors journaliste au Petit Parisien, présenta un groupe de quatre lions et lionnes dressés par le maître des lieux.  Henry Thétard à qui l’on doit « Les Dompteurs, ou la ménagerie des origines à nos jours », un excellent ouvrage de référence paru en 1929 !