LA MENAGERIE FORAINE DARIUS

LA MENAGERIE FORAINE DARIUS

Publié le 06/08/2019 dans HISTOIRES FORAINES

 

LA MENAGERIE FORAINE DE DARIUS
 
Parmi les plus célèbres ménageries foraines de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, il y avait celles des Pezon, Bidel, Pianet, mais aussi celles de Redenbach, Laurent, Marcel, Georges Marck, Chartier, et celle de Darius avec sa dresseuse vedette, la belle Betturica…

 


Au début du vingtième siècle, la ménagerie Darius dirigée par Leon Steil, dit Darius ou le Professeur Steil, tournait essentiellement sur les fêtes parisiennes.
Sa façade éclairée de mille lumières servait de décor à une parade menée avec brio par Darius qui faisait, avec son épouse et la danseuse espagnole La Betturica, évoluer un quadrille d’animaux sauvages au son d’un orchestre endiablé.
La belle Betturica, sa dresseuse vedette, était sublime, et Darius triomphait partout où il s’installait. Notamment à la Foire aux pains d’épices où chaque année le public parisien se pressait avec enthousiasme...
A l’intérieur de la ménagerie, une piste centrale abondamment éclairée car, en ce début du vingtième siècle, notre belluaire jouait à fond la carte de la « fée électricité » et du dressage en douceur, sans arme.

 

 

 

La « Grande chasse aux lions »

 

La parade terminée, la toile de la baraque franchie, le public se retrouvait à l’intérieur. Darius alias le professeur Steil, habillé en cow-boy, l’accueillait dans une salle spacieuse avec une cage théâtre installée au centre et de petites cages accolées avec des lions, des tigres, panthères…

 

Parmi ces fauves, la lionne Honda, auteur de nombreux accidents et la lionne Sultane, non moins dangereuse…

 

A chaque séance, Darius présentait la « Grande chasse aux lions », numéro unique qu’il avait présenté à la Gaîté Lyrique dans  « Les Saltimbanques », mais aussi à l’Alhambra et au Nouveau Cirque. A cette différence près, que c’était une femme et pas n’importe laquelle, la Betturica, qui présentait les bêtes !

 

Des cafés catalans à la cage aux fauves

 

La rencontre avec la Betturica mérite d’être contée… Chanteuse dans un grand café de Barcelone, elle fut abordée par Darius qui, en tournée dans la péninsule ibérique rencontrait un succès mitigé. Conscient qu’il fallait apporter un « plus » à son spectacle, une « attraction nouvelle », il proposa à la belle Ibère de danser et chanter dans la cage aux lions. Mais, comme il avait peu de succès en Espagne, il lui demanda de chanter dans la cage aux lions. Envie d’aventure ou passion des fauves ? Toujours est-il qu’elle accepta d’emblée et se retrouva bien vite au milieu des bêtes que Darius tenait en respect. Le public apprécia et le bouche à oreille fit le reste… Et, lorsque Darius quitta l’Espagne pour revenir en France, la Betturica le suivit sans ciller….

 

 

 

En 1906, à la fête des Gobelins

La ménagerie Darius qui, comme beaucoup d’autres à cette époque a tourné pendant plusieurs décennies sur les champs de foire de l’Hexagone et d’ailleurs, a son histoire et ses histoires… Ainsi, en juillet 1906, alors qu’elle était installée à la fête des Gobelins, à Paris, des cris se firent entendre dans le public. Femmes et enfants coururent alors dans tous les sens, pris de panique. Un
ours brun, échappé de la ménagerie Darius, fonçait dans la foule… Un âne, placé sur son chemin fut la première victime. D’un coup de crocs, l’ursidé l’égorgea, avant de s’en prendre à G. Labbé, employé de Darius. Celui-ci, voulant s’emparer de l’ours, ne réussit qu’à se faire mordre à la jambe gauche et dut aussitôt être transporté à l’hôpital Cochin,

 

La fête battait son plein, il fallait en finir… Le plantigrade fut acculé derrière une baraque de la fête, dans l’embrasure d’une porte cochère, où des gardiens de la paix (on parle de sergents de ville à cette époque), accourus au pas de charge, l’abattirent à coups de revolver, ainsi que le relate le Petit Journal du 29  juillet 1906 qui en fit même sa « Une » sous le titre : « Une chasse à l’ours en plein Paris ! ».

 

 

 

Dans les années Vingt…

 

Dans les années Vingt, la vedette incontestée de la ménagerie, était la belle Betturica qui faisait preuve d’une audace incroyable face aux redoutables tigres royaux du Bengale. Lors de ses passages en province, la presse locale s’en faisait l’écho et ne tarissait pas d’éloges sur la ravissante belluaire.

 

A son propos, on peut lire dans un numéro de L’Intermédiaire Forain de 1923 : « elle fait travailler, avec une rare sûreté, une dangereuse hyène mouchetée. Même aux minutes les plus périlleuses, la belle Betturica ne cesse de sourire et l’on retrouve sur ses lèvres écarlates et dans ses grands yeux bruns, tout le charme de l’Andalousie… ».

 

Eh oui… Ses grands yeux bruns, son talent et sa beauté déchaînaient les passions et inspiraient les poètes. Témoin, ces vers publiés – sous la plume d’Albert Fournier - dans L’Intermédiaire Forain du 5 janvier 1929 :

 

 « Ô toi Betturica, toi si brave et si fière

 

Toi qui domptes les rois de l’immense désert

 

Prends garde à ton courage, imprudente guerrière !

 

(…)

 

Intrépide à l’excès, sans crainte de l’effroi,

 

Vous entrez dans la cage où le fauve immobile,

 

Cherche votre regard pour y lire votre envoi

 

 

 

Nous voulons admirer votre ardeur juvénile

 

Qui partout nous captive, ou qui sait retenir

 

Une foule haletante et qui se tient tranquille

 

 

 

Quand la dompteuse offrant, du charme le plaisir,

 

Au sein de cette foule, à l’aide d’un reptile,

 

Déchaîne artistement l’ouragan du désir ».

 

 

 

Jardin d’Acclimatation et « numéro de la mort »

 

En 1927, Darius et la Betturica étaient à l’affiche du Jardin d’Acclimatation, à Paris, pour un numéro tout en douceur. Seule, sans arme, elle faisait travailler les bêtes. Dans le même spectacle, on retrouvait le fameux Charles Maco, dit D’Jemako qui, bien des années plus tôt, avait traversé les chutes du Niagara sur un câble !
A la fin des années Vingt et sous le chapiteau du Cirque Ménagerie Darius, La Betturica présentait à un public avide de sensations toujours de plus en plus fortes, le… « Numéro de la Mort ».  Seule dans la cage, dans un silence impressionnant, elle ouvrait la gueule du plus gros des lions et y mettait sa tête avant de croiser ses mains derrière le dos. A chaque représentation, on se pressait autour de la cage, la ménagerie était toujours pleine à craquer, enchaînant bourrées sur bourrées, et Darius était un homme heureux !

 

 

 

Fête des Gobelins, bis repetita

 

Un soir, à la fête des Gobelins, alors que la ménagerie était installée place d’Italie, deux bêtes refusèrent de travailler. La Betturica travaillait en douceur lorsque Milady, l’une des bêtes bondit sur elle. Elle eut le réflexe de se protéger le visage alors que Darius entrait dans la cage pour la dégager. Las… elle fut contrainte de s’arrêter quelque temps pour soigner et panser ses blessures avant de reprendre le dressage de deux tigres.

 

 

 

Déboires algériens

Vint le jour où Darius abandonna sa ménagerie pour se faire engager comme dresseur au cirque Caroli. Après une grande tournée en Algérie, il racheta l’établissement qu’il rebaptisa Grand Cirque Algérien et avec  lequel il tourna à Oran, Alger, Constantine, Saïda… mais bientôt incidents et accidents perturbèrent la tournée.
En 1939, Darius fut blessé par un fauve et dut interrompre dressage et numéro pendant plusieurs mois. Son jeune dompteur encore un peu « tendre » n’attira pas vraiment les foules, et en 1940, Leon Steil, alias Darius, trouva la mort dans un accident de camion.
Avec courage, son épouse décida de poursuivre la tournée, mais le sort continua de lui jouer de mauvais tours : un violent orage a raison du chapiteau…
Tant bien que mal, elle parvint à ramener ce qui restait du convoi à Alger où l’aventure pris fin au début de l’année 1941…