LE CIRQUE PLEGE

Publié le 28/11/2017 dans HISTOIRES FORAINES

Le Cirque Plège est un des plus anciens cirques voyageurs, très populaire au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle et au début du vingtième. Il s’installait aussi la plupart du temps sur les champs de foire avec les forains.

Né le 2 mai 1831 à Boulogne-sur-Mer, Antoine, fils de Joseph Nicolas Plège, « artiste d’agilité », était écuyer, acrobate et équilibriste lorsqu’il rencontra Joséphine Jordan, écuyère et danseuse au Cirque Bouthors où elle se produisait alors.

On dit qu’Antoine et Joséphine Plège se mirent à leur compte en 1856. Rapidement, leur réputation les précédèrent partout où ils passaient… On disait même d’Antoine Plège qu’il était un des maîtres de la banque. Son cirque voyageur était en bois (l’hiver) et en toile l’été, et certains n’hésitaient pas à le qualifier de… « Roi du Cirque », voire de « Roi des forains de France »  !


Sur toutes les grandes foires

 

En quelques années, le Cirque Plège, qui fut un des premiers à proposer au public des pantomimes à grand spectacle,  s’imposa comme l’un des meilleurs cirques de l’hexagone au même titre que le cirque  de Théodore Rancy, grand ami et rival d’Antoine Plège.
On le croisait sur toutes les grandes  foires. Notamment à Troyes où il s’installait, chaque année, à la foire de Mars, pour le plus grand plaisir du public qui, la représentation terminée, se retrouvait au cœur de la fête avec ses manèges, ses baraques et autres Carrousel salon…

 

Victime d’un incendie en 1892, il se réinstalla l’année suivante sur le mail Saint Nicolas (boulevard Victor Hugo).  Un nouvel incendie –toujours à Troyes- détruira le cirque en 1901, et la municipalité autorisera Joséphine Plège à remonter un cirque en bois dès 1903, ayant toutefois pour projet la réalisation d’un cirque en dur qui verra le jour en 1905, inauguré, cela va de soi, par le Cirque Plège ! De 1909 à 1912, la municipalité en confiera la gestion à Ugo Ancillotti, créateur du Looping the Loop à bicyclette, et mari de Lucie, une des filles d’Antoine et Joséphine Plège.

 

On le croisait aussi à Nantes, place de Bretagne, où il montait pendant la foire d’hiver. C’est d’ailleurs dans cette ville qu’eurent lieu, en 1904, les obsèques de Joséphine.

Grand spécialiste des pantomimes

 

Grande spécialité des Plège, les pantomimes, qui drainaient un public nombreux et enthousiaste. Dans « Forains d’hier et d’aujourd’hui », Jacques Garnier rappelle qu’ « on y vit en 1885 « Les Français en Tunisie » alterner avec « une Fête en Mongolie » et « Une grande chasse de la Pompadour » ». Rien d’étonnant pour qui sait que le Cirque Plège se déplaçait avec 150 personnes dont les familles Plège, Bouthors (dont Joséphine était la fille adoptive), Despard, etc.

 

En 1891, le père Plège se lance dans la pantomime aquatique « Le Cirque sous l’eau », spectacle comique en 2 actes et 12 tableaux. Cette année-là, en tournée à Orléans, emporté par sa fougue orale, Antoine Plège annonça la… pantomime précisant que sa mise en place lui avait coûté 30 000 francs de l’époque. Des stalles, une voix gouailleuse lui cria « Blagueur ! ». Ce qui eu le don d’énerver le père Plège, alors que les employés commençaient à déverser l’eau nécessaire au spectacle. Au plus fort de la joute verbale l’opposant au  spectateur gouailleur, Antoine Plège recula d’un pas et tomba dans le bassin à la plus grande joie du public. On dit que certains spectateurs revinrent le lendemain pour revoir ce qu’ils croyaient être l’entrée d’un auguste de soirée. Ils en furent pour leurs frais : le père Plège veillant à ce que pareille mésaventure ne se reproduise plus !

 

En 1893, actualité coloniale oblige, « Les Français en Tunisie » est remplacée par « La Conquête du Dahomey », elle-même remplacée quelque temps plus tard par « La Conquête de Madagascar », et Antoine Plège, bonimenteur hors pair, présentant ces pantomimes, n’hésitait pas à affirmer haut et fort que si les spectateurs étaient attentifs, ils pourraient « entendre les crocodiles « dans le lointage » ! ».

 

Le père Plège disparut, l’enseigne n’en continua pas moins de perpétrer la tradition avec, par exemple, en 1902 : « 1900, ou les aventures d’un américain à l’exposition de Paris », ou encore « Les mines d’or », en 1903.

Un sacré personnage

 

On ne compte pas les anecdotes qui circulaient sur ce personnage haut en couleurs et à la moustache guillerette, efficacement secondé par son épouse Joséphine.

 

Sa tenue d’abord. En effet, notre homme avait remplacé les boutons de son frac par des louis d’or qui brillaient de mille feux sous les lumières du chapiteau, mais qui l’obligeaient aussi à le ranger précieusement dans un coffre, une fois le spectacle terminé,  de crainte qu’on ne le lui vole ! Sans compter son buste couvert de médailles afin d’impressionner le chaland…

 

Autre particularité de notre homme : il ne sut jamais appeler un artiste par son nom. « De quel pays es-tu lui demandait-il avant de l’engager », et celui-ci se voyait alors affublé d’un surnom symbolisant le pays ou la région d’où il venait !

 

On dit aussi que pour présenter un nouvel artiste dans son établissement, le père Plège, faisait parfois l’annonce suivante, imitant en cela la coutume du Père Bazola, autre directeur de cirque bien connu à l’époque : « Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur de vous faire savoir que l’artiste que vous allez applaudir me coûte 100 francs par jour… » Et, le public de s’extasier !

 

Partout où il passait, le Cirque Plège rencontrait un succès fou. C’était l’un des établissements « vedettes » de l’époque. Le talent du bonhomme n’y était pas pour rien. C’était un sacré bonimenteur… Le « Roi de la banque Française » comme l’affirment  certains journaux étrangers lorsqu’il se produisait hors de l’Hexagone (Belgique, Luxembourg…).
Son talent faisait tout passer. Y compris le pire, car il est arrivé à notre homme de présenter un numéro au goût douteux, baptisé « Le Quadrille des femmes » : tous les éléments féminins de la troupe descendaient sur la piste et exécutaient au claquement de sa chambrière, les exercices habituellement dévolus aux chevaux : changement de pas, paso-doble… !

 

 

 

10 000 personnes dans les rues de Nantes

 

Le père Plège mourut en pleine gloire à Toulon en 1898, à l’âge de 67 ans. Il fut enterré à Rouen, et Joséphine, son épouse, repris les rênes du cirque, efficacement secondée par ses enfants.

 

Cette ancienne écuyère dirigea l’établissement jusqu’à son décès en 1904. Plus de 10 000 personnes assistèrent à ses funérailles en l’église Saint Nicolas à Nantes et suivirent le char funèbre, couvert de gerbes envoyées par Medrano, Rancy, Bureau - mais aussi de nombreux forains proches des Plège qu’ils côtoyaient sur les champs de foire depuis près d’un demi siècle - jusqu’à ce qu’il quitte la ville pour rejoindre Rouen où cette grande dame du cirque fut enterrée auprès de son mari .

 

Trois Cirques Plège

Au décès de sa mère, André Plège repris à son tour la direction du cirque familial qu’il dirigea jusqu’à son décès en 1908.
L’occasion pour André, secondé par Alice, son épouse, de maintenir la tradition.
1904, c’est aussi l’année où disparaissent MM. Mansserini père et Constant Redenbach, deux grands directeurs de ménageries foraines. Si, de foires en foires, on fait toujours la queue chez Pezon, alors que La Goulue a abandonné le quadrille pour le dressage de fauves, chez les Plège, Antoinette, sœur aînée d’André, et son époux Henri Despard, montent leur propre établissement : le Cirque Despart-Plège qui tournera  jusqu’en 1913, année au cours de laquelle décède Henri Despart. Le cirque ne lui survivra pas même si l’un de ses enfants, Robert deviendra un clown de renom, donnant la réplique aux plus grands.

 

En 1908, l’acrobate cycliste Ugo Ancillotti et Lucie Plège, la plus jeune de la fratrie, montent cirque à leur tour. Ce sera le Cirque Ancillotti-Plège qui tournera jusque dans les années 20. Ugo s’associant alors un temps aux frères Court qui à son décès créèrent le Zoo Circus. Mais ceci est une autre histoire…