MANIEURS DE FONTE

MANIEURS DE FONTE

Publié le 12/11/2020 dans HISTOIRES FORAINES

MANIEURS DE FONTE, BRISEURS DE CHAÎNES ET JONGLEURS DE POIDS

 

Dans les années Vingt, les briseurs de chaînes, ou les  manieurs de fonte et faiseurs de poids comme on les appelait alors, se produisaient dans des baraques de lutte ou des arènes sportives. D’autres travaillaient en placarde, ou alternaient les deux (foires et palc).

Parmi les manieurs de fonte de l’époque, citons pêle-mêle Bibi Poiret, Raoul le Boucher et Boud’Or, mais aussi Louis de Lyon qui tenait un poids de 20 kg à la « coiffe » le temps de boire un verre, ou encore Oscar de Lille, voire l’étonnant Rollin dit « Saint-Denis », et dont la troupe Rossignol-Rollin fit de belles bourrées sur les champs de foire. Maillot de corps et bras nu, le ventre débordant par-dessus la ceinture, Rollin se produisait avec sa femme qui travaillait également les poids. Une forte femme que cette Mme Rollin qui fit les beaux jours de la baraque devant un public chaque fois surpris par son talent de jongleuse de poids !

Fernand Germain, qui travaillait aussi en famille (avec son épouse et ses deux fillettes) était, quant à lui, briseur de chaînes, avec un numéro au cours duquel il jonglait aussi avec des boulets et poids de 20 kg. Dans « Forains d’hier et d’aujourd’hui », Jacques Garnier précise à son propos qu’ « il réussissait avec aisance des jetés de barre : à deux mains de 110 kg et d’une main de 85 kg ». Excusez du peu !

 

GRÜNN SUR LES FOIRES LYONNAISES

Autre « homme fort » de l’époque : Grünn qui se produisait sur Lyon et la région. Que ce soit à la Vogue de Perrache ou à la Foire de la Part Dieu, L’Intermédiaire Forain qui avait assisté à ses prouesses écrivait en 1921 : « Dans un numéro très applaudi, sans bluff inutile et avec une aisance particulière, Grünn stupéfie littéralement amateurs et professionnels par une série de bras tendus par l’anneau, réalisant impeccablement, chaque jour, 30 kg à droite et 235 kg à gauche ; un bras tendu original consistant en la présentation de face d’un poids de 25 kg dont l’anneau est en suspension sur une pièce de 10 centimes, pincée entre deux doigts ; l’exercice du coffret-surprise renfermant une charge de 25 kg a déconcerté les amateurs vérificateurs qui se laissent invariablement choir sous ce poids, présenté à la pincée, avec une aisance qui dénote une « serre » prodigieuse ».
La « Poupée insoutenable » autre exercice de force exécuté par notre manieur de fonte consistait en la présentation en bras tendu de face, d’une haltère de 30 kg, gracieusement habillée en demoiselle !

Toutes les tentatives de « leveurs de fonte » pour en faire autant s’avéraient vaines et dénotaient l’énergie et la volonté de notre homme qui présentait aussi des exercices plus classiques tels que le jeté en barre à deux mains (125 kg), ou le développé en barre à deux mains (100 kg). Rien n’arrêtait notre homme qui s’est aussi attaqué à plusieurs records du monde des bras tendus, dont celui du soulevé de face à deux mains (sac de sable) qu’il a porté à 80 kg en 1921 !

 

DU PALAIS DU MUSCLE A LA RESTAURATION

En 1924, L’Intermédiaire Forain, notait que Louis Dupraz, plus connu sur les champs de foire sous le surnom d’ « Attila », et qui tint le « Palais du Muscle » qui devint The Olympic Palace, avait vendu sa baraque pour se reconvertir dans la restauration avec un établissement où tous les bateleurs se retrouvaient avec grand plaisir. Mais, bien qu’il se sédentarisa pour se consacrer davantage à sa famille, dès que l’occasion se présentait, il quittait son restaurant pour rejoindre ses amis lutteurs et jongleurs sur les champs de foire et leur prodiguer de judicieux conseils qui faisaient les bonnes bourrées.
Aussi, lorsque la ville d’Avignon où il était installé, organisa une grande fête de bienfaisance aux bénéfices des sinistrés des inondations du Vaucluse, les élus de la cité papale pensèrent tout naturellement à lui.

« Il faut voir Attila, râblé, musclé, souple, vif, ardent, le teint encore bronzé par les rayons du soleil africain, suivant d’un œil vigilant l’orbe menaçante des boulets projetés d’un bras robuste bien haut par dessus sa tête sans cesser en péril pour comprendre que la série des jongleurs possibles à un tempérament comme le sien ne peut infailliblement que provoquer viva et bravos tant il exécute ses tours de force téméraires et périlleux avec une grâce aisée et une audace souriante » pouvait-on lire dans la presse locale de l’époque, admirative de voir notre homme fort sédentarisé « mouiller le maillot » à ce point pour venir en aide aux familles sinistrées.

Il est vrai que l’énumération de ses prouesses avait de quoi laisser pantois : « Il exécute le travail du poids réglementaire… un double passement d’épaules, puis de reins, ; suivi d’un double tour projeté de la main droite, abandon du poids à hauteur de ceinture, rotation instantanée du corps, reprise du poids par l’anneau avant contact à la terre, double passement par dessus la tête et arrêt à la volée par une pince irrésistible sur l’un des petits côtés… ».
Tous ces manieurs de fonte, briseurs de chaînes et jongleurs de poids étaient des hommes pittoresques, hauts en couleur, dont la force phénoménale conjuguée à un boniment hors pair, suscita pendant quelques années encore l’intérêt du public. Celui-ci allant toutefois s’amenuisant au fil des années, nos talentueux « rois du tapis », véritables as de la postiche, se firent de plus rares après guerre pour disparaître définitivement des champs de foire au cours des décennies qui suivirent…