MARCEL ET MARTHA LA CORSE

MARCEL ET MARTHA LA CORSE

Publié le 25/03/2021 dans HISTOIRES FORAINES

 

UN COUPLE DE BELLUAIRES :

MARCEL ET MARTHA LA CORSE

 


Martha la Corse et Marcel Chaffreix font partie des plus célèbres belluaires de la première moitié du vingtième siècle. Comme pour les Bidel, Pezon et bien d’autres encore avant eux, le public se déplaçait nombreux sur les champs de foire pour applaudir à leurs exploits. Portraits de deux « gloires » de la fête, qui étaient aussi mari et femme à la ville…

 

MARCEL CHAFFREIX


Né en 1883 à Commentry (Allier), Marcel se familiarisa très tôt avec les animaux. Il débuta à 15 ans, à la fin du dix-neuvième siècle, comme garçon de cage à la ménagerie Frank C. Bostock à l’Hippodrome de Clichy, à Paris. Il soignait les bêtes, leur donnait à manger, veillait à leur transport et à leur installation dans chaque ville. Engagé pour une tournée en Autriche, c’est tout naturellement qu’il voulut entrer dans la cage seul, pour leur donner à manger.
Ses « débuts » eurent lieu le 13 mars 1903. Dans la cage, il y avait alors un lion qui s’appelait Vendredi et un chien nommé Clown. « Au moment où je suis entré, expliquait-il dans L’Intermédiaire Forain du 3 décembre 1932, Clown, voyant que j’étais encore débutant se mis à sauter et a fait peur à Vendredi qui s’est jeté sur moi et m’a transpercé la cuisse ». Marcel resta alors un mois et demi à l’hôpital. Mais cela ne le découragea pour autant car il disait : « Je suis très certainement né avec une âme de dompteur… puisque ce goût à toujours été en moi, alors que dans ma famille personne n’avait jamais pensé à ce métier pour moi. Mes parents étaient boulangers. C’est vous dire qu’il n’y a aucun rapport !».

Marcel, qui fit donc ses débuts chez Bostock, eut assez vite des vélléités d’indépendance. C’est ainsi, qu’avant la Première Guerre Mondiale, il monta un entresort avec animaux avant d’acheter quelques bêtes à un certain Jusselin, dompteur-amateur bien connu des belluaires de l’époque. Il monta alors une petite ménagerie foraine qui connut un franc succès sur les champs de foire de l’Hexagone. Il dut cependant arrêter début août 1914 avec la déclaration de guerre. Du jour au lendemain, les flonflons de la fête se turent : bonisseurs, acrobates et belluaires abandonnant leurs « métiers » à la recherche d’autres moyens d’existence.

Mobilisé, Marcel fut affecté- en tant que dresseur- aux chenils militaires.

En 1919, la guerre terminée, il reprit les fêtes avec un important groupe de lions dont il faisait ce qu’il voulait. Nom de l’établissement : « Ménagerie Marcel et la collection de fauves la plus variée », où l’on retrouvait Bornéo, l’indomptable léopard de Perse « qui tombe sur son ennemi avec la rapidité de la foudre », ainsi que l’a écrit Henry Thétard dans son livre « Les Dompteurs ».

Blessé à Clichy en 1919 alors qu’il reprenait le métier, Marcel eut de nombreux accidents, mais celui qu’il évoquait le plus souvent était survenu à Barcelone. Il y perdit de nombreuses bêtes alors qu’il jouait Quo Vadis (en 1920) : « Je donnais un spectacle devant la Cour d’Espagne, et pour charmer l’œil, on m’avait habillé en romain. J’étais magnifique lorsque je pénétrais dans la cage aux lions. Malheureusement, cette beauté fit peur aux bêtes et les lions se précipitèrent sur moi… ». Les pompiers qui se trouvaient dans la salle  se précipitèrent avec leurs lances et arrosèrent aussitôt les lions et Marcel, spectateurs du premier rang et orchestre compris. Une douche collective et salutaire qui lui permit de sortir indemne de cet accrochage !
Marcel qui voyagea sa vie durant, promena sa ménagerie à travers la France, dans les fêtes et les foires, sur les scènes de music-hall.

Parmi les bons souvenirs qu’il aimait à raconter : son voyage aux Indes en 1920 où il se trouvait pour chasser la panthère… « Un jour j’y croisais Clémenceau. Je lui fis voir ma ménagerie, les animaux que je venais de trouver dans ce pays et la façon dont je les domptais. Le « Tigre », comme on l’appela par la suite, me félicita et quelque temps après m’envoya, montée sur argent, une griffe d’une panthère chassée ensemble. Ce geste de Clémenceau me toucha profondément ».

Après une carrière bien remplie au cours de laquelle il fit de nombreuses rencontres et partagea l’affiche avec Martha la Corse, son épouse, Marcel termina sa carrière de directeur de ménagerie et de dompteur à la foire du boulevard Richard Lenoir, à Paris, en 1938. Il ne possédait plus qu’une petite baraque où il présentait son vieux lion Spy, ainsi que deux lionnes. Il souffrait alors terriblement de l’aortite qui devait l’emporter quelques années plus tard. Mais après cette foire parisienne, il décida de raccrocher et vendit ses fauves à Georgio, qui lui tournait avec Marffa la Corse !
Avec son frère Henri, dit Franck Henri –dompteur lui aussi-, Marcel remonta une baraque après guerre. Ensemble, ils exhibèrent des vaches phénomènes, mais l’aventure fera long feu, car Marcel décéda le 28 août 1945, à l’âge de 62 ans à la foire de Lille où ils étaient installés.

 

 

MARTHA LA CORSE
Martha la Corse, de son vrai nom Albertine Frankaert, née en 1897 à Saint Cloud, demeure une des grandes dompteuses de la première moitié du vingtième siècle. Evoquant ses douze ans à la foire de Niort devant la ménagerie de Marcel et Martha, Jean Richard a écrit dans « Mes bêtes et moi » : « Je connaissais par cœur la belle collection de fauves de Martha la Corse et même le boniment de parade, dont le souvenir d'une phrase restera toujours gravé dans ma mémoire: « Mesdames, Messieurs, vous verrez t'ensuite les terribles hyènes à mâchoires d'acier d'Abyssinie, surnommées t'à juste titre les fossoyeurs des Indes » ».

Et pourtant rien ne destinait Martha à devenir dompteuse, si ce n’est l’amour. Pas l’amour des bêtes, mais celui qu’elle éprouva pour Marcel alors qu’il se produisait dans l’Ile de Beauté. Agée de 17 ans, la blonde et délicieuse Albertine (elle ne se faisait pas encore appeler Martha) eut le coup de foudre pour le belluaire. Elle l’épousa et cette excellente cavalière, habituée au dressage des chevaux voulut très vite tout savoir sur celui des lions, tigres et hyènes de la ménagerie… Marcel l’initiant tout naturellement aux secrets de son art, elle devint sa plus proche collaboratrice, présente dans la cage, impressionnante, vêtue d’une seule peau de tigre… Très vite même, l’élève dépassa le maître. La beauté et la cordialité qui se dégageait de son visage firent le reste…

D’ailleurs, Martha acquis une renommée qui dépassa celle de son belluaire d’époux au point de devenir la vedette de la ménagerie.

De 1920 à 1939, ils se produisirent ensemble sur les plus grandes foires de l’Hexagone et tournèrent dans l’Europe entière avec leurs lionnes Haydée et Simone. Plus particulièrement en Espagne, où ils sont allés de succès en succès avant d’être rattrapés par la guerre civile, et devoir, comme d’autres forains et cirques itinérants, rentrer en France pour reprendre la tournée des fêtes foraines, foires, kermesses, etc.

Dans les années 20 et 30, ils travaillèrent aussi avec Franck Henri, le frère de Marcel, qui présentait le… « Cercle de la mort », alors que Marcel proposait une… « Grande chasse aux tigres du Bengale ». Martha dont la lutte au corps avec le lion Prince attirait le public au Jardin Zoologique d’Acclimatation à Paris, eut les honneurs de la presse qui relata l’exploit, photos à l’appui. On la retrouva aussi dans les journaux, ouvrant de ses mains la gueule d’un fauve avec pour légende : « la puissante mâchoire d’un des lions de Martha la Corse ».

« Au commencement, je fus loin d’être rassurée, mais l’important était de ne rien laisser voir, déclarait-elle dans L’Intermédiaire Forain du 18 février 1932. Avec ces ennemis dont il s’agit de se faire autant que possible des amis (…). J’ai appris à y parvenir par des gestes impérieux, de la présence d’esprit, une décision rapide et un sang-froid à toute épreuve… ». Ce qui ne l’empêcha pas d’être mordue et crochetée à plusieurs reprises.

Cette belle et talentueuse belluaire qui soigna Marcel plusieurs années durant, décéda le 4 septembre 1944, à l’âge de 47 ans, à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, des suites d’un antraxe ayant provoqué une septicémie. Outre le fait qu’elle fut une belluaire d’exception, peu nombreux savent que Martha la Corse fut choisie comme modèle pour représenter la femme allégorique sur le pommeau de l’épée d’honneur offerte par la France au Roi des Belges. Et que c’est elle aussi, qui posa pour le groupe environnant une statue du maréchal Foch prouvant si besoin était qu’il y avait (et qu’il y a encore, NDLR) des beautés officielles parmi les étoiles foraines !